LA CROIX MYSTIQUE                                                                        > retour

 

X

 

HORIZONS

 

Dans les siècles qui suivent, la grande histoire de l’architecture arménienne ne cesse pas, malgré tant de difficultés ; si les églises peuvent sembler assez différentes et le sont, de remarquables traits communs permettent de continuer à cheminer, dans la continuité et dans l’étonnement. Quelques rapides remarques, fragmentaires mais diverses, seront un échantillonnage, simplement pour en donner idée.


La compacité du mur demeure une constante et donnera toujours à penser le passage du monde humain à l’univers divin. C’est ainsi que les arcades qui, dès la fin du Xe siècle, peuvent enserrer les églises ne contredisent pas cette compacité. En effet, loin d’être simplement plaquées contre les parois, elles s’y enfoncent diversement et jouent explicitement de leur profondeur pour commenter, mais d’une nouvelle manière, l’intériorité des lieux. Parfois, notamment à partir du XIIIe siècle, fenêtre et pignon, ou, jusqu’en pleine façade, portail et fenêtre ne sont pas dans l’axe : s’agit-il d’une fantaisie, d’une sorte de divertissement ? En réalité, ils révèlent crûment que l’ordre visible à l’extérieur va être transformé à l’intérieur ; cette prise de parole semble encore plus directe qu’au VIIe siècle.


Le passage d’un volume à un autre, particulièrement du carré à la coupole, reste un terrain sensible. Les « stalactites » qu’on verra si souvent à partir du XIIIe siècle orner niches, coupoles et lanternes ne sont pas un simple emprunt à l’art de l’Islam ; elles ne peuvent avoir droit de cité que parce qu’elles multiplient l’idée de passage, porteuses d’une force nouvelle par ce mécanisme de la répétition. De la même manière, l’incroyable géométrisation qui fait passer, dans les gavits – ces sortes de narthex -, du carré au polygone ne contredit pas la délicatesse des articulations d’une Sainte-Hripsimé d’Etchmiadzine : ce qui était au VIIe siècle une articulation clairement localisée devient un système géométrique, apparemment bidimensionnel, généralisé à toute la structure porteuse. À Guèghard, le deuxième mausolée rupestre de Papak Prochian (1288), à l’étage, semble quant à lui faire léviter sa coupole : c’est que l’architecte a profité du fait qu’il creusait dans la roche pour évider le lieu qui devrait être support et donner le sentiment d’une transition quasi miraculeuse.


Et lorsque, par exemple dans l’église du Saint-Sauveur de Sanahin (fin du Xe siècle), les bras nord et sud de la croix pourraient sembler d’une si faible longueur qu’ils risqueraient de mettre en péril la volumétrie générale de l’édifice, c’est-à-dire sa symbolique essentielle, les arcs qui ouvrent sur l’espace central sont creusés d’une échancrure qui indique sans ambiguïté qu’il y a là une limite entre deux espaces tout à fait différents, le carré central et les bras de la croix : la complexité est sauve, dite avec une intériorité autrement mûrie.


Les nervures qui, notamment  dans l’église du Berger (XIe-XIIIe siècle), à Ani, préciseront les déterminations géométriques des voûtes veulent rationaliser le plus possible le travail de l’élévation de l’église et donc du fidèle. Et les toitures en ombrelle des coupoles multiplient les angles, les espaces et les volumes, elles semblent ordonner tous les regards vers la croix qui, dans les hauteurs, constitue l’axe, la direction, la tension générale de l’église.

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